Mayotte préfère les profs qui fayotent

vendredi 20 janvier 2012
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Ci dessous un article paru dans LIBERATION du jeudi 19 janvier 2012 qui alerte l’opinion sur des pratiques néocolonialistes dans la fonction publique à Mayotte.

Mayotte préfère les profs qui fayotent

DOM . Jugés trop militants, des fonctionnaires expatriés vont être renvoyés en France par le préfet.
Par REMI CARAYOL
Michel Rhin n’en revient toujours pas. Le 6 décembre, cet enseignant de mathématiques a appris que son séjour à Mayotte prendrait fin à l’issue de cette année scolaire. Deux ans et puis s’en va… La principale de son collège avait pourtant émis un avis favorable à sa demande de renouvellement.
Dans cette île de l’océan Indien devenue le 101e département français l’an dernier, les enseignants sont régis par un décret très particulier ¬« anachronique », selon les syndicats ¬, qui donne au préfet un privilège unique : celui de décider des mutations de la plupart des fonctionnaires, sans motiver ses choix.
Grande gueule. La durée du contrat des enseignants est de deux ans, renouvelable une fois. Dans la plupart des cas, le renouvellement est accordé sans difficultés. Chaque année, seuls quelques profs aux comportements déplacés (alcoolisme…) sont renvoyés dans leur académie d’origine. Mais, comme le note une enseignante qui vit à Mayotte depuis vingt ans, « il faut en faire beaucoup pour ne pas être prolongé ! »
Pour Michel Rhin, bien noté, il n’y a pas de doute : il s’est fait éconduire en raison de ses activités extraprofessionnelles. Depuis son arrivée en août 2010, il est président de l’antenne locale du Réseau Education sans frontières. Une grande gueule qui gêne, dans un territoire connu pour ses dérives à l’encontre des étrangers, et où plus de 26 000 personnes en situation irrégulière (dont 6 000 enfants) ont été reconduites à la frontière en 2010.
Dans un courrier au ministre de l’Education, le député socialiste de Seine¬Saint¬Denis Daniel Goldberg joue les vierges effarouchées : « Je ne peux croire que cette seule fonction ait un lien quelconque avec la décision » de ne pas le prolonger.
La mésaventure de Yann Durozad devrait l’en convaincre. Arrivé à Mayotte en 2010, lui aussi s’est vu refuser le renouvellement de son contrat malgré l’avis favorable de son chef d’établissement. Son cas a provoqué plusieurs manifestations et fait l’objet d’une pétition. Il s’agit, selon les profs, d’une « discrimination syndicale ». Secrétaire général du Snes (Syndicat national des enseignants de second degré, majoritaire), secrétaire départemental adjoint de la FSU (Fédération syndicale unitaire), Durozad est, depuis un an et demi, le syndicaliste le plus remuant du territoire.
« Il a révolutionné le monde syndical dans l’enseignement, dit Rivomalala Rakotondravelo, secrétaire départemental du Snuipp (Syndicat national unitaire des instituteurs et professeurs des écoles, majoritaire dans le premier degré). Avant, premier et second degrés restaient séparés. Les enseignants du premier degré étant majoritairement des Mahorais, et ceux du second des expatriés, nous n’avons pas les mêmes revendications. Longtemps, il y a eu une incompréhension, pour ne pas dire de la condescendance. Avec Yann Durozad, tout a changé. Et ça pose un gros problème à l’administration. » « Je suis victime d’un règlement de comptes, accuse l’enseignant qui, comme Michel Rhin, a saisi le tribunal administratif. C’est tout un système qui permet ça. On ne justifie pas, on ne motive pas, donc si on déplaît, on se fait éjecter. On est dans un système colonial. »
Loi du silence. Rien de nouveau. A Mayotte, les fonctionnaires sont soumis à une loi (tacite) du silence plus contraignante qu’en métropole. « Depuis toujours, quand un fonctionnaire est jugé trop remuant, il dégage, explique un enseignant mahorais. D’habitude, l’administration ne visait que des "petits". Avec Rhin et Durozad, la ficelle est trop grosse. » Surtout que la destination Mayotte peine à séduire les enseignants. A la rentrée 2011, 168 postes n’étaient pas pourvus, dont 18 en histoire—géographie, la matière enseignée par Yann Durozad.
Article publié dans LIBERATION du 19 janvier 2012


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